Quand les cuisines bordelaises s’ouvrent au monde
Lorsque des restaurants ouvrent leurs cuisines à des cuisiniers réfugiés, cela donne le Refugee Food Festival. À Bordeaux, les organisateurs cherchent à inscrire leur travail au-delà de ce simple événement médiatique. Ils accompagnent aussi l’insertion des réfugiés, à l’instar de Fatma Mulai. Originaire du Sahara occidental, la jeune femme est arrivée à Bordeaux dans un fourgon avec son tout jeune fils. Elle est aujourd’hui salariée d’une institution bordelaise. Récit d’une insertion par la cuisine particulièrement réussie.
« Le 28 mars 2016, je suis arrivée à Bordeaux le 28 mars 2016 », martèle la jeune femme dans un français mâtiné d’arabe et d’espagnol. Cette date, elle s’en souvient comme si c’était hier, elle qui a fui le Sahara occidental, est restée plusieurs années en Algérie, avant de débarquer à Bordeaux après un long et douloureux périple. « Je ne connaissais personne ici, je ne parlais pas français, mon fils avait deux ans et quatre mois, il pleurait beaucoup, il avait faim. Je suis allée au COS – Centre pour réfugiés et demandeurs d’asile – mais il était fermé. Un homme m’a proposé de m’héberger au camp des Sahraouis. Nous étions seulement trois femmes, c’était sale, je n’y ai passé qu’une nuit ! Une seule ! Le lendemain, le COS était ouvert et j’ai pu déposer une demande d’asile ».
La galère des demandeurs d’asile
La demande d’asile déposée, Fatma doit encore trouver un endroit où dormir. Expériences douteuses chez des personnes peu scrupuleuses, hôtels à 20 kilomètres de Bordeaux, retour au camp des Sahraouis… Fatma galère y compris pour trouver à manger « j’ai mendié pour la première fois de ma vie ». Le CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) lui trouve finalement une chambre dans un appartement à Villenave d’Ornon. Les autres femmes viennent d’Albanie, du Kosovo, de Lybie ou encore du Tchad. Elle y reste 10 mois, son fils est scolarisé.
En février 2017, on lui trouve un studio dans le centre de Bordeaux. Elle emménage, tout semble se passer au mieux, quand patatras !, sa demande d’asile est refusée : « je l’ai très mal vécu, j’ai beaucoup pleuré »… Mais il en faut plus pour que Fatma se décourage, elle s’accroche, explique sa situation « à la justice » et obtient finalement une réponse positive quelques mois plus tard.
À présent que Fatma vit légalement en France, elle peut chercher du travail. Cuisinière de métier, elle espère trouver dans sa branche. En voyant l’affiche du Refugee Food Festival, elle se dit que c’est peut-être une piste. Sandrine Clément-Rivoltella, une des bénévoles de l’événement bordelais, lui fait rencontrer les responsables de Chez Alriq, une incontournable guinguette bordelaise. Le courant passe et un soir de juin 2018, dans le cadre du Refugee Food Festival, Fatma régale 80 personnes d’un couscous à l’agneau.
Une fois l’événement terminé, Sandrine continue d’accompagner Fatma dans ses démarches. L’équipe d’Alriq embaucherait bien la jeune sahraoui mais aucun poste n’est disponible en cuisine… à part pour la plonge. « C’est une phase de transition, précise Cathy, chargée de l’accueil et de la programmation, Fatma travaille magnifiquement bien, est toujours de bonne humeur. Ça n’a pas été compliqué de l’accueillir parce que les personnes qui travaillent Chez Alriq ont toutes des profils très différents. On fait ensemble. On s’entraide. C’est dans la bienveillance que l’on peut bien travailler ». Une approche que partage Katy, elle aussi salariée de la guinguette « Ce n’est pas la première fois que nous embauchons des refugiés. Ici, c’est un lieu un peu particulier, un lieu où chacun peut trouver sa place. Cette notion de bienveillance et de respect mutuel est au centre du projet créé par Rose et Alriq en 1990 ». Si Sandrine aurait préféré que Fatma trouver d’emblée sa place derrière les fourneaux, Fatma, elle ne se plaint pas : elle a un contrat de travail, un salaire, des collègues de travail bienveillants :« je voudrais rester ici. Je ne cherche pas à devenir riche mais à vivre. La vraie richesse, c’est la vie ! ».
Le Refugee Food Festival
Par-delà l’événement
Le Refugee Food Festival est un événement qui se déroule au mois de juin dans plusieurs villes européennes en même temps. À Bordeaux, après quatre éditions réussies (au total 14 restaurants mobilisés et 18 chefs demandeurs d’asile accueillis), les organisateurs, tous bénévoles, cherchent à inscrire leur travail au-delà du simple événement médiatique. Si Sandrine Clément-Rivoltella, la cheville ouvrière du projet, met en relation restaurants et cuisiniers réfugiés le temps du festival, elle s’engage aussi au-delà en suivant et accompagnant les chefs réfugiés sur le long terme. Fatma fait partie de celles et ceux que Sandrine a accompagnés, tout comme Jawad venu d’Irak, aujourd’hui cuisinier dans une clinique bordelaise.
Informations pratiques
Refugee Food festival
http://www.refugeefoodfestival.com
Guinguette Chez Alriq
© Sonia Moumen (rapporteuse des échanges) pour Champs Libres membre de Kus Alliance France
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