Les bistrots de l’Estey
27 Novembre 2019
L’équipe du Centre social et culturel de l’Estey de Bègles a présenté son dispositif de Bistrot mobile à plusieurs opérateurs européens venus de Malte, d’Irlande, d’Angleterre ou encore d’Allemagne. Retour sur une rencontre autour d’une initiative de cuisine nomade pas comme les autres.
En ce matin de novembre, il fait frais dans l’immense salle du Centre social et culturel de l’Estey à Bègles, une commune de 27 000 habitants proche de Bordeaux. Au centre de la pièce se presse une vingtaine de personnes autour d’un étonnant vélo-carriole siglé « Bistrot mobile de l’Estey ». Ce drôle de vélo-cuisine est l’emblème d’un projet de street food dont l’un des objectifs phares est l’insertion de jeunes en difficulté.
Ici, pas de pizzas, hamburgers ou kebabs mais des “batbots”
Pour Le LABA, structure organisatrice de la semaine de formation et d’échange autour de la street food en Nouvelle-Aquitaine, le Bistrot mobile est un projet incontournable comme le précise Margaux Velez. « Il permet à des jeunes de vivre une première expérience professionnelle et d’acquérir les compétences de base d’un foodtrucker : l’approvisionnement en produits, la gestion des stocks, la préparation des aliments, le service, la relation à la clientèle. C’était important pour nous de faire partager cette expérience entre cuisine et insertion à nos partenaires européens ».
Initié par Charline Fournier et un groupe de bénévoles particulièrement actifs eu sein du centre social, ce mini-food truck permet en effet à des jeunes – le plus souvent mineurs et en grande difficulté scolaire, sociale ou économique, de vivre une première expérience professionnelle autour de la street food. Mais attention ! Ici, pas de pizzas, hamburgers ou kebabs, mais des pains traditionnels marocains garnis. Si ces « batbots » requièrent peu d’ingrédients (farine, semoule, levure, sel, huile d’olive et eau) ils nécessitent cependant un sacré tour de main. Fatima, grande spécialiste du batbot et initiatrice des jeunes en la matière, en fait aujourd’hui la démonstration devant les participants. Elle pétrit vigoureusement la pâte avant d’en faire des boules qu’elle aligne sur une plaque. Le temps que les boules reposent, elle rejoint le groupe pour la poursuite de la présentation du projet par Charline.
Le Bistrot : précurseur du Bistrot mobile
Tout a commencé il y a quelques années par la création du Bistrot de l’Estey. Installé au cœur du centre social, il dispose d’une cuisine professionnelle et d’une salle de restauration à la décoration pimpante. Dans ce lieu baigné de lumière, les habitants du quartier peuvent venir déjeuner trois fois par semaine. Le menu complet (entrée, plat, dessert) est à 6,50 €. Le prix d’une cantine, sauf qu’ici, le contenu de l’assiette n’a rien à voir avec une cantine ! Le service se fait à l’assiette, on prend son temps, les saveurs du monde ne sont jamais bien loin et on n’hésite pas à varier les plaisirs en invitant de temps en temps un chef, un habitant, une association à prendre les rênes en cuisine.
Cette semaine, c’est le chef Nicolas Cajal qui est aux manettes au côté des bénévoles et des salariés. Les participants ne tarderont pas à goûter à sa cuisine : une entrée fraîcheur à base de carotte et de soja sauce passion, un plat du jour qui mêle avec subtilité darne de saumon, lentilles vertes et sauce à base de vin rouge et, pour finir, de délicieux profiteroles aux fruits. « J’aime cuisiner sain et savoureux avec des produits de saison et en circuits courts », explique Nicolas qui est aussi convaincu, à l’instar de l’équipe de l’Estey, que cuisiner crée du lien et facilite l’insertion autant sociale que professionnelle. L’insertion, c’est l’autre facette du Bistrot de l’Estey. Ghizlane et Marina, au service et en cuisine, en sont d’ailleurs la preuve, elles qui s’inscrivent dans le dispositif « Parcours Emploi-Compétence » dont l’objectif est l’inclusion durable dans l’emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail.
Un autre visage de la jeunesse
Si le Bistrot répond à des objectifs d’insertion durable et de parcours de formation pour les adultes, il manquait au Bistrot de l’Estey un travail plus ciblé sur l’insertion et la mobilisation des jeunes et plus spécifiquement des 15-19 ans en décrochage scolaire ou en décrochage tout court. C’est pour eux que Charline Fournier a eu l’idée du Bistrot mobile, une déclinaison originale et « agile » du Bistrot à l’année. De la fabrication des petits pains jusqu’à la relation aux consommateurs, des jeunes repérés par les structures partenaires (ITEP, APSB, service emploi de la ville ou encore mission locale) sont invités durant une semaine à découvrir toutes les étapes de la vie de cette cuisine de rue pas comme les autres. Pour les accompagner, professionnels et bénévoles se relayent. « Avec nos partenaires et un groupe de 4 à 5 bénévoles, nous avons travaillé durant 18 mois à la mise en place du Bistrot mobile » précise Charline. « À l’été 2018, nous avons organisé notre première action en nous déplaçant de quartier en quartier pour proposer nos petits pains ». En tout, dix jeunes de 15 à 18 ans ont pu se former et travailler durant une semaine chacun avec de vraies conditions de travail : « Les jeunes ont été rémunérés. Ils ont eu un contrat, des horaires. Cela les a engagés et a été une vraie étape pour leur vie professionnelle future » explique Charline, particulièrement fière d’avoir pu mobiliser des partenaires financiers autour du dispositif.
Des petits pains pour faire grandir les jeunes
Elle ne minimise pourtant pas les difficultés : « Avec parfois 120 petits pains garnis à préparer et à servir en une soirée, la charge de travail a parfois été lourde et travailler cinq jours consécutifs a été difficile pour certains jeunes ». Toutefois, les bienfaits semblent évidents comme en témoigne Benoît, maître de maison à l’ITEP de Bègles, un établissement pour enfants et adolescents handicapés partenaire du projet. Il a participé et suivi toutes les étapes du Bistrot mobile et pour lui, « la mixité des publics, le changement de lieu, de contexte, le fait de travailler avec des bénévoles, hors les murs, tout cela a été extrêmement bénéfique pour nos jeunes ». Marie, directrice adjointe de l’ITEP, est elle aussi convaincue par le projet : « les jeunes passent du statut de jeunes passifs à celui de citoyens, acteurs et actifs ». Quant à Michel, éducateur spécialisé, il salue le fait que « si le Bistrot mobile est un lieu de réconciliation des jeunes avec les adultes, il permet aussi la réconciliation du jeune avec lui-même. Il peut se prouver qu’il est capable de faire quelque chose de positif ».
« Faire quelque chose de positif » semble être le leitmotiv y compris pour les bénévoles qui oeuvrent sur le projet depuis le début. « Cela montre un autre visage de la jeunesse » explique Josiane. Esther fait preuve elle aussi d’un enthousiasme sans limite : « travailler avec les jeunes, j’ai vraiment kiffé, je n’ai pas d’autre mot. En étant à leur écoute, on apprend plein de choses aussi : sur l’informatique, la high tech, le foot, les choses de la vie et de la rue ! C’est une découverte humaine à chaque fois différente ! ». Quant à Fatima, elle conclut dans un sourire « Les meilleurs moments ? Ceux passés avec ces jeunes bien sûr ! ».
Aller voir ce qu’il se passe ailleurs en Europe
Pendant que Fatima fait cuire ses petits pains sur une plaque chaude, un peu à la manière de crêpes, les échanges autour du projet se poursuivent en deux groupes. L’occasion pour les partenaires européens du LABA de poser des questions techniques, financières ou organisationnelles mais aussi de réagir : « C’est une étude de cas vraiment très intéressante. Les centres sociaux ailleurs en Europe ont les mêmes problèmes, notamment avec les jeunes en difficulté. Ce dispositif autour de la street food est très inspirant », argumente Patricia Golden, chargée de projet et bénévole pour Momentum Marketing Services Ltd en Irlande. « Le Bistrot mobile fait en sorte que chacun des jeunes devienne acteur du projet et d’une certaine façon acteur de sa vie. C’est un accompagnement vraiment intéressant » témoigne de son côté Eva-Maria Stroh, travailleuse sociale chez Kiezkuechen Gmbh à Berlin. Charline n’en revient pas de l’intérêt que le Bistrot mobile déclenche : « C’est génial ! En écoutant leurs réactions, je m’aperçois que ce que nous faisons, sans être extraordinaire, est quand même très singulier ! Cela apporte de la valeur à ce que nous faisons… et donne aussi envie d’aller voir ce qui se passe ailleurs, en Europe ! ».
Informations pratiques
Bistrot et Bistrot mobile de l’Estey
20 rue Pierre et Marie Curie
33130 Bègles
Tel +33 (0)5 57 35 13 00
https://estey.mairie-begles.fr/
https://estey.mairie-begles.fr/le-bistrot-de-lestey/
https://www.facebook.com/centresocialetcultureldebegles/
© Sonia Moumen (rapporteuse des échanges) pour Champs Libres membre de Kus Alliance France
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